Arcane
n°22 : la Ruine
Il
s'agit ici d'un projet avorté, qui consistait au préalable à
représenter les vingt-deux arcanes du destin (cartes du tarot). En
effet, trois seulement ont été réalisées. Les autres toiles sont
restées vierges. Elles sont compactées trois par trois, avec du
carton marron et de l'adhésif orange, de matières peu « nobles ».
Les paquetages sont exécutés à la va-vite, machinalement,
contrastant avec les toiles blanches, correctement manufacturées, de
lignes élégantes, vierges. Ces toiles en transition sont prêtes à
partir à la poubelle ou peut-être attendent-elles d'être achevées.
Révèlent-elles un non-dit? Est-ce l'impossibilité d'envisager
vingt-deux paysages d'un monde que nos mœurs ne veulent pas
métaphysique, ésotérique, chargé de destin et transcendant?
Peut-être que le monde dans lequel nous vivons préfèrerait des
paysages plus sociaux, raisonnés mais décalés, kitsch pour ne pas
se prendre au sérieux, d'une surface remplie d'absence, de vide.
Cette
installation, typiquement contemporaine dans sa fabrication, témoigne
de mon renoncement à la peinture. C'est une mise à mort de mon
propre travail, comme d'un homme qui arrêta d'écrire après
vingt-sept livres. Construisant positivement ma propre ruine, ces
toiles fabriquées à ne pas être peintes, suggèrent tout de même
une image. La carte numéro sept, « Le chariot »
symbolise le changement, le passage d'un état à un autre. Ici, elle
est représentée par un avion-obus sur un tarmac glissant, prêt à
pénétrer une des deux tours en arrière-plan. L'avion est prêt
lui aussi à construire sa propre ruine à l'image de la tour de
Babel. Sauf qu'ici la tour est rectangulaire, droite, fière d'être
debout, comme ces toiles assemblées trois par trois. Sept pavés
architecturaux qui attendent la couleur qui leur sera refusée,
bâillonnés pour n'avoir rien dit, recevant le châtiment de n'être
qu'une installation.
Ce fut le dernier et
unique travail présenté lors de mon bilan de 5ème année à
l'école des Beaux-arts. J'ai sabordé cinq années de travail. J'ai
risqué mon diplôme sur cette réalisation kamikaze et payé le prix
de ma liberté d'action. J'ai voulu jouer ma dernière carte en
retournant mes échecs à mon avantage, comme avec ironie et
roublardise, un moudjahidin triomphe d'avoir perdu la guerre.
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